Discours d’Aurore Bergé | Ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations

Mardi 28 janvier 2025

Publié le | Temps de lecture : 12 minutes

Palais de la Femme

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, cher Mathias OTT,
Monsieur le Directeur général de la cohésion sociale, cher Jean-Benoît DUJOL,
Madame la Cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, chère Catherine PETIT
Mesdames les ministres, chère Bérangère COUILLARD, chère Laurence ROSSIGNOL,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
 

Mesdames, Messieurs,

C’est avec une profonde émotion que je me tiens devant vous ce soir, au cœur d’un lieu chargé d’histoire et de sens : le Palais de la Femme.
Je tiens à remercier toutes les équipes de l’Armée du Salut pour leur engagement constant aux côtés des plus vulnérables et pour leur accueil aujourd’hui.
Ce Palais, nous le devons à l’incroyable détermination d’une femme au destin hors du commun, Blanche PEYRON.
Il y a près de cent ans, Blanche PEYRON rêve d' « un refuge pour toutes celles que la vie a malmenées, que la société a mises de côté. […] Un Palais pour panser ses blessures et se relever. »
Un Palais pour redonner de la dignité à celles qui en ont été privées.
En 2025, ce Palais continue d’accueillir et de protéger.

Il demeure un témoignage vivant de ce qu’une société peut accomplir lorsque des femmes et des hommes engagés unissent leurs forces pour transformer des idéaux en actions concrètes.

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C’est dans cet esprit que je souhaite inscrire ce rendez-vous : réaffirmer ce qui nous unit et tracer une trajectoire commune pour agir.
Cette trajectoire n’est pas neutre.
Elle s’ancre au coeur de notre République, de sa promesse d’égalité, de son horizon d’émancipation, de sa nécessité de dignité.
Elle s’ancre dans les valeurs républicaines qui sont à la racine de mon engagement politique : une République exigeante, vivante, qui nous lie et nous élève.

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J’appartiens à une génération politique qui ne peut plus se permettre de considérer la République et la laïcité comme des évidences.
Nous vivons dans un moment de tensions historiques, dans un monde où ces valeurs qui fondent notre communauté nationale sont contestées, attaquées, abîmées.
Ce que nous avons appris, c’est que les droits humains ne sont jamais acquis ; que l’Histoire ne progresse pas toujours en ligne droite ; que ce qui a été conquis hier, et qui semblait assuré, peut être remis en question aujourd’hui et détruit demain.
Un fossé générationnel inquiétant est en train de se creuser.
Parmi les plus jeunes, certains banalisent des discours de haine ou se replient dans des logiques de communautarisme et de séparatisme qui fracturent notre République.
Les mouvements masculinistes trouvent une résonance inquiétante auprès de jeunes hommes, jusqu’à justifier des actes de violence ou l’infériorisation des femmes.
Des idées pernicieuses progressent parce qu’elles se dissimulent sous un vernis d’acceptabilité, prétendant répondre à des inquiétudes légitimes pour mieux imposer des logiques de division et d’exclusion.

Il fut une époque où proclamer « Liberté, Egalité, Fraternité » suffisait à rassembler.
Ce temps est révolu.
Quand des femmes et des enfants sont les victimes quotidiennes des violences sexuelles, quand des Français juifs ne sont plus en sécurité dans certains de nos quartiers, quand des couples homosexuels sont insultés ou agressés, quand des femmes, des hommes, des enfants, sont discriminés parce qu’ils sont perçus comme différents, quand la laïcité est considérée comme un obstacle à la liberté alors qu’elle en est la condition, il n’y a plus d’indifférence possible !

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Ma vision de la République repose sur trois principes : la laïcité, l’autorité et le progrès.
Ces trois principes ne s’opposent pas ; ils se renforcent.
La laïcité, c’est la liberté de croire ou ne pas croire. C’est l’exigence aussi que jamais personne ne se sente autorisé à imposer sa foi aux autres. La laïcité est un cadre protecteur pour « celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas ».
L’autorité, c’est la capacité de notre République à se faire respecter, c’est une condition de la justice : quand les lois sont bafouées, quand les violences sont tolérées, c’est l’autorité de l’Etat qui s’efface et, avec elle, la confiance des citoyens.
Enfin, il n’y a pas de République sans progrès : notre République n’est pas figée, elle doit rester en mouvement.
Elle doit toujours aller vers plus d’égalité, plus de dignité, plus de justice.
C’est dans ce cadre que j’exerce mes responsabilités : une République forte, juste, qui rassemble et qui est capable de répondre aux défis de notre temps.

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Ma République, elle est féministe par nature car il n’y a pas d’égalité possible, pas de progrès réalisable, si elle laisse ses filles dans l’ombre, dans l’injustice ou dans la peur.
Quand une femme est assassinée sous les coups de son conjoint ou poussée au suicide par son bourreau, c’est un échec collectif.
Nous savons que ces crimes intolérables ne surgissent pas soudainement.

Ils s’insinuent dans le quotidien, lentement, presque imperceptiblement.
Cela commence souvent par un contrôle insidieux : des mots qui humilient, des regards qui menacent, des interdictions qui se multiplient.
Arrivent ensuite les coups, les blessures physiques, les violences sexuelles et psychologiques, qui isolent tous les jours un peu plus.
Et puis, parfois, viennent les excuses, ces moments qui brouillent les repères et qui piègent encore davantage les victimes devenues des proies.
C’est là toute la perfidie de ces violences qui alternent entre terreur et accalmie, qui oscillent entre promesses et menaces, rendant la fuite presque impossible.
Chaque féminicide est précédé de signes avant-coureurs, ignorés ou même excusés au nom de la vie privée.
C’est pour cela que je me bats, ce soir même, raison pour laquelle je devrai vous quitter tôt, pour inscrire dans notre droit le contrôle coercitif.
En 2025, il est temps de l’affirmer haut et fort : appeler la gendarmerie ou la police quand une femme est en danger, ça n'est pas de la délation, c'est de l'assistance à personne en danger.
Ça sauve des vies.
Il y a des voisins vigilants pour lutter contre les cambriolages...
Soyons tous des voisins vigilants pour en finir avec les violences faites aux femmes et aux enfants.
Ces violences ne concernent pas uniquement nos familles, elles ne surviennent pas seulement dans l’intimité de nos foyers.
Elles concernent nos écoles, nos universités, nos entreprises, tous les milieux et tous les secteurs, tous les pans de notre vie collective.
Et nous devons lutter avec toujours plus de détermination contre toutes les formes de violences faites aux femmes.
Je suis déterminée, comme l’avait annoncé le Président de la République, à ce que la loi intègre dans la définition pénale du viol la question du consentement, dans le prolongement de la mission des députées Véronique RIOTTON et Marie-Charlotte GARIN.

Je veux continuer à lutter contre l’exploitation des femmes à travers la mise en oeuvre de la première stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel que j’ai présentée l’année dernière et être ainsi à la hauteur de la position abolitionniste de la France dans le prolongement de la loi ROSSIGNOL de 2016.
Le désir ne s’achète pas.
Le corps des femmes n’est pas à vendre.
Quand 94 % des jeunes femmes, âgées de 15 à 24 ans, estiment qu’il est plus difficile d’être une femme dans la société actuelle, c’est une interpellation faite à nous tous.
Qu’avons-nous construit, ou toléré, pour que si peu de jeunes femmes se sentent pleinement libres, pleinement égales, dans notre République alors que les 50 dernières années ont été riches de conquêtes pour la liberté des femmes et le renforcement de leurs droits et que nos politiques d’égalité ont connu une forte accélération depuis 2017 ?
En 2025, nous devons encore redoubler d’efforts, amplifier tout ce qui a été initié pour que toutes les femmes sachent qu’elles ne sont pas seules, et que notre République refuse de se satisfaire d’un monde où être une femme reste un combat en soi.
Nous savons combien l’autonomie économique des femmes est une condition essentielle de leur émancipation.
A tous les âges, les femmes doivent pouvoir aller au bout de leurs ambitions et de leur potentiel, brisant tous les plafonds de verre.
Je suis d’ailleurs très attentive à la question de l’articulation des temps de vie dont un grand nombre d’entreprises s’est déjà saisi : il est inacceptable que la parentalité qui repose encore trop souvent sur les femmes demeure un frein à la progression de leur carrière.
C’est pour cela que je souhaite la création d’un congé de naissance.
L’émancipation économique des femmes ne sera pas possible tant que le slogan « à travail égal salaire égal » ne sera pas devenu une réalité et que la nomination d’une femme PDG d’une entreprise du CAC 40 restera un événement exceptionnel.

Depuis 2017, nous avons fait de nombreux progrès en la matière, notamment grâce à l’index Egalité professionnelle que nous renforcerons encore dans les prochains mois dans le cadre de la transposition de la directive européenne « Transparence des rémunérations ».
L’égalité salariale n’est pas une option, pas plus que la parité dans les instances : c’est la loi et j’entends qu’elle s’applique.

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Je suis fière d’appartenir à un Gouvernement qui place l’égalité au cœur de son action.
Nous portons une vision exigeante : celle d’une République qui ne renonce à personne.
C’est pourquoi ma République ne saurait accepter ni les attaques haineuses, ni les discriminations qui disent à certains de nos concitoyens « Tu ne seras jamais tout à fait des nôtres ».
Ecarter d’emblée un candidat d’un processus de recrutement en raison de ce que son prénom ou son nom de famille voudrait dire sur lui,
Refuser un dossier de location en raison de la couleur de peau des potentiels locataires,
Instrumentaliser le talent de deux artistes en finale de la Star Academy et les harceler de manière décomplexée,
Cela n’a pas sa place dans notre République.
Et parce que la République n’est pas un espace de déni mais un espace de vérité, nous mettrons en place le premier baromètre national des discriminations.
Nous ne détournerons pas les yeux non plus face à la persistance des violences et des discriminations anti-LGBT.
En 2025, en France, on doit pouvoir être qui l’on est et aimer qui l’on aime.
Alors comment accepter que des hommes soient piégés dans des guets-apens d’une violence inouïe, tabassés parfois jusqu’à la mort ?
Que des adolescents soient harcelés au collège et rejetés par leur propre famille au point que certains perdent l’espoir de vivre ?

Que des insultes homophobes résonnent encore dans des stades, comme si elles faisaient partie du folklore ?
Enfin, comment tolérer que des locaux associatifs soient incendiés ou saccagés ?
Je tiens à renouveler mon soutien aux associations et aux centres LGBT+ car ils sont des refuges essentiels, des lieux de solidarité, d'écoute et de lutte.
En 2025, l’État continuera à leur apporter son appui, partout en France.

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Ma République ne peut en aucun cas composer avec la recrudescence d’antisémitisme à laquelle on assiste.
Bien plus qu’une convulsion, c’est un ré-enracinement qui nous menace.
Alors que nous commémorions hier les 80 ans de la libération d’Auschwitz, souvenons-nous des Français assassinés par le terrorisme islamiste le 7 octobre 2023, parce qu’ils étaient juifs.
42 parmi au moins 1200 hommes, femmes, enfants, vieillards, lors du « plus grand massacre antisémite de notre siècle » comme l’a déclaré le Président de la République.
Deux de nos compatriotes sont toujours retenus en otages : Ohad Yahalomi et Ofer Kalderon.
Après le 7 octobre, il y eut le 8 octobre et les jours suivants.
Nos démocraties ont toutes eu à affronter un regain massif d’actes antisémites.
Les statistiques sont impuissantes à décrire le sentiment de sidération et de solitude de nos compatriotes de confession juive.
Ils se retrouvent trop souvent seuls face à ce fléau : à l’école, à l’université, dans la rue, dans les transports, sur les réseaux sociaux.
Parce que l’antisémitisme, ce n’est pas une vague impression, ce sont des épreuves de vie.
Ce qu’écrit Anne BEREST dans La carte postale est édifiant.

« J’avais l’âge de ma mère, le même âge que [celui de] ma grand-mère, au moment où elles avaient reçu les insultes et les jets de pierres.
L’âge de ma fille quand, dans une cour de récréation, on lui avait dit qu’on n’aimait pas les Juifs dans sa famille.
Il y avait ce constat que quelque chose se répétait. »
L’antisémitisme est toujours là ; il se renouvelle, il s’adapte, il mute.
Gage à nous de comprendre que oui, l’antisionisme est un antisémitisme.
Des profanations de tombes aux tags antisémites en bas d’immeubles ou sur des vitrines, de l’insulte à la gifle, du crachat à l’agression verbale ou physique, de l’ostracisme de nos élèves et de nos étudiants jusqu’au viol d’une jeune fille de douze ans parce qu’elle était juive, chaque acte antisémite appelle un refus en bloc.
Face à l’antisémitisme, il ne peut y avoir ni compromis, ni ambiguïté.
C’est pourquoi je relancerai, le 13 février prochain - date anniversaire du martyre d’Ilan Halimi – les Assises de lutte contre l’antisémitisme.

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Mesdames et Messieurs,
La lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes, le combat contre l’antisémitisme, contre le racisme et contre la haine anti-LGBT, cela ne doit jamais rester des affaires privées.
C’est l’affaire de toutes et de tous, c’est l’affaire de la République, c’est l’affaire de l’école de la République !
C’est dès l’école que se construit notre avenir commun, où nous apprenons l’égalité, à vivre ensemble et à refuser toutes les formes d’exclusion et de violence.
Cela se construit dans les cours de récréation, les salles de classe, les projets communs, grâce à l’engagement exceptionnel des professeurs, des équipes éducatives et des associations qui interviennent dans tous nos territoires.
A tous les âges de la vie on peut apprendre avec des mots simples des notions comme le consentement, le respect ou l’intégrité du corps.

Ce ne sont pas des abstractions, encore moins des théories.
Ce sont des principes concrets, essentiels à notre vie intime et collective : consentir, c’est dire oui, librement, clairement et sans ambiguïté ; respecter, c’est écouter et reconnaître l’autre dans ses choix et sa dignité.
Loin des caricatures, nous aurons la responsabilité d’assurer la mise en oeuvre des programmes d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité.
C’est aussi par l’éducation que nous devons éradiquer les stéréotypes sexistes, les préjugés racistes et les théories complotistes qui alimentent les violences, l’intolérance et la haine.
La liberté d’enseigner, de caricaturer, de transmettre et d’éveiller les consciences est une liberté absolue.

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Au-delà de l’école de la République, c’est l’État et les pouvoirs publics qui doivent être exemplaires, fermes et protecteurs.
Forces de l’ordre, professionnels de santé, professionnels de la justice, enseignants, agents publics : tous doivent incarner cette République qui refuse les compromis face aux violences, aux discriminations, aux inégalités.
Les parlementaires jouent un rôle essentiel pour ancrer l’égalité dans notre droit.
Les maires et tous les élus locaux, par leur proximité avec les citoyens, sont les premiers bâtisseurs de ce lien républicain sur l’ensemble du territoire de notre République.
Mais les pouvoirs publics à eux seuls ne peuvent pas tout.
Aucun budget, aucune loi, aucune politique publique ne suffira si nous n’unissons pas nos efforts, si nous n’associons pas toutes les forces vives de notre pays à ce combat.
Car la République est une oeuvre collective.
Les associations, en accompagnant, sensibilisant et défendant les plus vulnérables, sont des partenaires exigeants et indispensables.
La République a aussi besoin de l’engagement des entreprises, qui ont déjà commencé à transformer leurs pratiques pour promouvoir l’égalité et combattre les discriminations.

Elle a besoin des familles, où se jouent les premières batailles pour l’émancipation.
Et elle a besoin des citoyennes et citoyens, qui doivent faire vivre ces valeurs dans leurs choix, leurs paroles, leurs actes.
C’est pourquoi je vous appelle aujourd’hui à être les actrices et les acteurs d’une chaîne républicaine où chaque maillon a un rôle à jouer :
- Ne détournons plus les yeux ;
- Prenons position ;
- Défendons l’égalité, partout ;
- Refusons l’antisémitisme, le racisme, les discriminations sous toutes leurs formes ;
- Refusons toute indifférence.

***

Mesdames et Messieurs,
En 2025, nous avons besoin d’un choc de République, pour réaffirmer ensemble que l’égalité n’est pas une option mais un projet de société.
D’un choc de laïcité, pour renforcer le cadre qui nous protège toutes et tous.
Ce choc, il viendra de l’engagement, de l’action et de la mobilisation de toutes les forces notre pays !
Dans ce lieu qui nous rappelle que les grandes avancées naissent souvent de la détermination de citoyennes et de citoyens qui s’engagent, refusant l’injustice et osant imaginer un avenir meilleur, faisons de 2025 l’année d’un réveil collectif, de ce sursaut républicain.
Parce que la République, c’est nous toutes et nous tous.
Ce n’est pas qu’un idéal, c’est une exigence.
Une exigence qui dit : tout mais pas l’indifférence !
Et cette exigence, elle commence ici et maintenant.
Vous pouvez compter sur moi.
Vive la République !
Vive la France !

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