Discours d’Aurore Bergé | Ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations
Mardi 1er avril 2025
Publié le |
ASSEMBLÉE NATIONALE- Examen en séance publique de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Seul le prononcé fait foi
Madame la Présidente/Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Mesdames les Co-rapporteures,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le consentement est au cœur de notre combat contre les violences sexuelles.
Il est une évidence qui aurait dû s’imposer depuis toujours, et pourtant, il reste aujourd’hui un concept volontairement déformé, interrogé.
Pourquoi ?
Parce qu’il vient heurter des habitudes, des croyances.
Parce qu’il dérange.
Il dérange car il est intrinsèquement lié à une réalité que l’on préférait mettre à distance, une réalité occultée par les clichés.
Dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur.
Neuf fois sur dix.
Ce n’est pas un inconnu tapi dans l’ombre.
C’est un mari, un ex-conjoint, un parent, un ami, un collègue.
Cette proximité brouille les frontières et nourrit des doutes insupportables :
« Pourquoi n’a-t-elle pas crié ? Pourquoi ne s’est-elle pas débattue ? Pourquoi n’a-t-elle rien dit plus tôt ? »
Parce que le viol ne se résume pas à la brutalité physique.
Parce que la peur, la sidération, la honte, l’emprise, les violences psychologiques, les abus d’autorité ou de pouvoir sont autant de chaînes invisibles qui paralysent et qui peuvent paralyser longtemps.
Parce que l’absence de cri, de lutte ou de résistance n’est jamais un consentement.
Parce que le silence d’une victime n’est jamais un consentement.
Parce que ne pas dire non… ne veut pas dire oui.
***
Nous vivons un moment charnière.
Le procès de Mazan en est le symbole.
Gisèle PELICOT en est le visage : une femme debout.
Gisèle PELICOT, droguée par son mari pour être vendue à des inconnus recrutés sur internet qui la « considèrent comme une poupée de chiffon, un sac-poubelle ».
Pendant dix ans, son corps a été un terrain vague, son existence un cauchemar méthodiquement et chimiquement orchestré.
Ils ont été 51 hommes.
51 visages terriblement ordinaires.
Ils sont des voisins, des collègues, des pères de famille que nous croisons chaque jour.
Oui, l’horreur a un visage familier.
Et quand l’heure de répondre de leurs actes est venue et qu’il fallait se rendre au tribunal, ils se sont présentés masqués, cachés sous les capuches et les cagoules.
Avaient-ils honte d’eux-mêmes ou simplement honte d’avoir été interpellés ?
***
Ce procès nous oblige.
Il doit y avoir un avant Mazan et un après Mazan.
Nous n’avons plus le droit de détourner le regard.
Nous devons avoir le courage de regarder notre société telle qu’elle est, avec ses violences, ses silences, ses complicités.
Nous devons aux victimes de nous hisser au niveau du courage de Gisèle PELICOT.
Nous devons redoubler d’efforts.
***
Car si nous avons progressé ces dernières années pour mieux protéger les victimes et mieux condamner les bourreaux,
Si nous avons renforcé nos dispositifs de prévention et d’accompagnement et notre arsenal juridique,
Si nous avons commencé à graver l’absence de consentement dans la loi,
Le combat n’est pas terminé.
En inscrivant dans notre code pénal grâce à la loi du 21 avril 2021 le seuil de quinze ans en deçà duquel il ne peut pas y avoir de consentement, nous avons clarifié le travail de la justice.
Avant quinze ans, un enfant est un enfant.
Il ne peut pas comprendre ce qu’on lui suggère ou qu’on lui impose.
Avant quinze ans, un enfant ne peut pas consentir.
C’est « non ».
C’est toujours « non ».
C’est un interdit absolu.
Et il ne peut pas en être autrement.
***
Aujourd’hui, nous pouvons changer de dimension en réaffirmant une vérité simple, incontestable, inaltérable : consentir, ce n’est pas « ne pas dire non ».
Consentir, c’est dire oui.
Un oui explicite, libre, sans contrainte ni ambiguïté.
Il ne s’agit pas de caricaturer cette exigence en y voyant une bureaucratisation du désir ou en évoquant ironiquement un contrat signé avant chaque relation sexuelle.
Il s’agit de protéger, de reconnaître, de rendre justice.
Car le viol n’est ni une fatalité, ni un malheureux malentendu.
Le viol est un crime.
Un crime qui brise, qui mutile, qui anéantit.
***
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nous avons une responsabilité historique.
Je veux saluer l’engagement des parlementaires de tous horizons, qui portent cette avancée avec force et conviction.
Je tiens à rendre un hommage appuyé au travail remarquable de Véronique RIOTTON et de Marie-Charlotte GARIN, dont la mission et le rapport ont été décisifs.
Je veux saluer le rôle du Conseil d’Etat qui a rendu un avis éclairé, rapide et renforçant la sécurité juridique du texte.
Aujourd’hui, à travers ce texte, vous avez l’opportunité d’inscrire au cœur des lois de notre République ce principe fondamental, principe de justice et de dignité :
« Le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. »
Libre, parce qu’aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit en fausser la nature.
Une femme qui craint de perdre son emploi, une jeune fille face à son entraîneur, une femme sous l’emprise d’un conjoint violent… peuvent-elles réellement dire non ?
Éclairé, car comment consentir si l’on est droguée, ivre, en situation de vulnérabilité ou sous rapport d’autorité ?
Spécifique, pour que nul ne puisse détourner le sens du mot consentement.
Consentir à un acte n’est pas consentir à tous les actes et le droit des contrats ne saurait servir à justifier le droit de disposer du corps d’autrui.
Préalable et révocable, car personne ne doit être enchaîné par un consentement délivré une fois.
Dire oui ne signifie pas dire oui pour toujours, et dire non à tout moment doit être respecté.
Enfin, le consentement doit toujours être apprécié dans son contexte.
Une relation hiérarchique, une dépendance économique, un climat de peur ou de manipulation sont des éléments qui ne peuvent être ignorés.
Ce n’est qu’en mettant en lumière les stratégies de coercition que nous pourrons démasquer ceux qui exploitent la vulnérabilité des autres.
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Mesdames et Messieurs les Députés,
Au-delà des textes de loi, c’est un changement de culture que nous devons opérer.
Et nous devons l’opérer collectivement.
La culture du viol, ce poison insidieux qui imprègne nos sociétés, doit être combattue par chacune et chacun d’entre nous, tout le temps et à tous les niveaux.
Elle est là, chaque fois qu’une victime est réduite au silence, chaque fois qu’un agresseur est excusé, chaque fois qu’un « non » est interprété comme un « peut-être ».
Elle est là, quand on enseigne aux filles à avoir peur et à se méfier plutôt qu’aux garçons à respecter.
Quand on insinue que les vêtements, l’attitude ou l’heure tardive justifient l’injustifiable et qu’après tout, « elle l’a bien cherché ».
Mettre fin à cette culture, c’est éradiquer ces mécanismes de domination.
C’est éduquer, c’est refuser la complaisance et le déni.
C’est dire clairement : la honte n’est pas du côté des victimes.
Elle est du côté de ceux qui violent, de ceux qui minimisent, de ceux qui détournent le regard et qui laissent faire, complices.
Aujourd’hui, nous pouvons faire un pas décisif vers une véritable culture du consentement.
***
Mesdames et Messieurs,
Non, ce texte ne changera pas tout.
Oui nous continuerons de lutter contre toutes les formes de violences.
Mais ce texte peut marquer un tournant.
Il nous revient aujourd’hui de réaffirmer haut et fort que le corps des femmes leur appartient.
Qu’aucun homme ne peut jamais prétendre à un droit sur lui.
Que ce qui compte, ce n’est pas ce que l’agresseur croit, c’est ce que la victime veut.
Et cela, c’est déjà une révolution.