Discours d’Aurore Bergé | Ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations
Mardi 1er avril 2025
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ASSEMBLÉE NATIONALE - Examen en séance publique de la proposition de résolution visant à mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles.
Seul le prononcé fait foi
Madame la Présidente,
Monsieur le Rapporteur, cher Paul CHRISTOPHE
Mesdames et Messieurs les Députés,
Il y a vingt-deux ans, la France se réveillait en apprenant la mort de Marie TRINTIGNANT, battue à mort par son compagnon.
Vingt-deux ans, il faut nous souvenir des mots employés à l’époque :
« Marie Trintignant, tombée dans le coma après une dispute »
« Une dispute amoureuse qui a mal tourné »
« Un huis clos tragique »
L'histoire était racontée comme si la responsabilité était partagée par les deux membres du couple.
Pire, c’était d’abord la responsabilité de la victime.
Son passé, son caractère, sa vie intime étaient auscultés comme si elles pouvaient d’une quelconque manière excuser son meurtre.
On parlait de « crime passionnel », de « drame amoureux », comme si l’amour pouvait justifier la mort.
Marie Trintignant n’est pas morte d’amour.
Elle a été assassinée.
Assassinée par la violence d’un homme.
***
Depuis, notre société a progressé.
Nous avons appris que les mots ont un poids, qu’ils façonnent notre vision du monde et nos actes.
Nous ne parlons plus de « crimes passionnels » mais de féminicides.
Nous avons compris que les violences physiques et sexuelles ne sont pas des malentendus, mais des crimes.
Et pourtant…
***
Un autre poison subsiste.
Celui du doute.
Celui du soupçon qui, encore aujourd’hui, ne pèse pas sur les agresseurs, mais bien sur les victimes.
Nous avons tous entendu ces phrases :
« Elle ne s’est pas débattue. »
« Elle n’a pas crié. »
« Elle exagère. »
« Ca n’est qu’une simple gifle »
« C’est parce qu’elle l’a trompé »,
Comme si, en plus d’avoir été agressées, les victimes devaient encore prouver qu’elles l'ont été « correctement ».
Qu’elles avaient réagi de la « bonne manière ».
Comme s’il y avait une manière « acceptable » d’être une « bonne » victime.
Face à quel autre crime, face à quelle autre infraction, exige-t-on autant de la victime ?
***
Mesdames et Messieurs les Députés,
Oui, cette proposition de résolution est utile.
Parce que continuer de culpabiliser les victimes, c’est offrir un passe-droit aux agresseurs.
C’est suggérer, à mots couverts, que « ce n’est pas si grave », que « ça ne mérite pas d’en faire un scandale ».
C’est entendre, encore et encore, ces phrases insoutenables :
« Il a dérapé, ça arrive à tout le monde »,
« Il ne faut pas ruiner une vie pour ça »,
« On ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien faire ».
Comme si frapper, violenter, tuer une femme relevait d’un moment d’égarement et non d’un crime.
Comme si la véritable injustice, ce n’était pas la violence subie, mais la conséquence pour celui qui l’a commise.
Voilà comment, insidieusement, une société minimise, banalise, normalise, perpétue.
Voilà comment on absout les coupables en chargeant les victimes.
Mais qu’on le dise clairement : une gifle, un viol, un féminicide, ce n’est jamais une simple « erreur ».
C’est un acte de domination.
Et nous ne laisserons plus rien passer.
***
Oui, cette proposition de résolution est utile.
Parce qu’en tant que société, nous devons nous engager pour que cesse de peser sur les victimes l’ombre terrible du soupçon.
Jamais une seule femme ayant dénoncé les violences qu’elle a subies n’a relancé sa carrière grâce à cela.
Pourtant, dès qu’elles parlent, les accusations d’opportunisme surgissent : chantage, volonté de nuire, recherche de notoriété, calcul stratégique, plan secret…
Quelle femme a déjà gagné quoi que ce soit à porter plainte ?
Professionnellement, médiatiquement, politiquement, financièrement ?
Aucune.
Elles y perdent même souvent.
De l’argent dans des procédures longues et épuisantes, du crédit dans des milieux professionnels compétitifs, de la sérénité dans leur vie quotidienne.
Elles affrontent des menaces, des insultes, le mépris, l’isolement.
Elles doivent tout prouver, tout justifier, et pourtant, leur parole reste suspecte.
En réalité, leur seul bénéfice est intime : retrouver l’estime de soi, se réparer, espérer aider d’autres victimes.
Faire entendre une vérité qui, sans elles, resterait dans l’ombre.
***
Oui, cette proposition de résolution est utile.
Parce que la procédure judiciaire, qui devrait être pour les victimes un moment de reconnaissance et de justice, peut se transformer en une épreuve supplémentaire.
Encore aujourd’hui, il arrive que l’on ne cherche pas seulement à établir les faits, on scrute leur passé, on traque leurs moindres gestes, leurs moindres silences, on décortique leur vie privée et sexuelle, leurs émotions, leurs réactions.
Comme si le simple fait d’avoir survécu suffisait à les décrédibiliser, comme si leur douleur devait être passée au crible du soupçon permanent.
Nous sommes dans un État de droit.
Dans un Etat de droit, un accusé est présumé innocent jusqu’au jugement définitif.
Dans un Etat de droit, un accusé a le droit de se défendre.
Mais dans un Etat de droit, le débat contradictoire n’exclut pas l’éthique.
Rien ne justifie les invectives sexistes et misogynes envers des avocates comme nous avons pu le voir de manière honteuse la semaine dernière.
Rien, absolument rien, ne justifie que des victimes soient traitées avec suspicion ou parfois même humiliées par des questions ignobles qui ajoutent une nouvelle couche de violence alors que nous aurions dû les protéger.
Rien ne justifie que l’on interroge encore des victimes sur la longueur de leur jupe, sur leur consommation d’alcool, que l’on questionne leur « vertu », leur passé sentimental ou leur vie sexuelle, comme si un seul de ces éléments pouvait atténuer la gravité du crime subi.
Rien ne justifie que l’on ne prenne pas au sérieux la douleur et la plainte d’une victime qui, après des années de silence, trouve enfin la force de parler.
***
Au lieu de nous étonner du silence des femmes, demandons-nous si la société les a vraiment écoutées.
Car en réalité elles n’ont jamais été silencieuses.
Des milliers de victimes ont parlé, dénoncé, témoigné, écrit, milité.
Mais leur parole a-t-elle été prise en compte ?
A-t-elle été respectée ?
Ou a-t-elle été minimisée, moquée, disqualifiée ?
Aujourd’hui, la parole s’est libérée, heureusement.
Il ne suffit plus d’entendre : il faut agir.
***
Et la détermination du Gouvernement est totale.
Nous sommes pleinement engagés pour enfin rompre le cycle de la violence et de l’impunité.
Nous luttons avec toujours plus de détermination contre les violences faites aux femmes sous toutes leurs formes : physiques, sexuelles et psychologiques, mais aussi économiques, numériques ou de soumission chimique.
Cela passera par le renforcement de nos dispositifs de protection, d’accompagnement et d’hébergement, la formation des professionnels de santé et des forces de l’ordre ou encore le déploiement d’au moins une maison des femmes adossée à un établissement de santé dans chaque département.
Cela passera aussi par le renforcement de notre arsenal juridique pour mieux accompagner les victimes dans leurs démarches judiciaires et mieux qualifier les faits pour, à la fin, mieux condamner les auteurs.
A ce titre, l’examen de la proposition de loi de Véronique RIOTTON et de Marie-Charlotte GARIN doit marquer un tournant pour que la question du consentement soit placée au cœur de notre droit.
Enfin, nous nous apprêtons à faire entrer la notion de contrôle coercitif dans la loi avec l’examen ce jeudi au Sénat de la proposition de loi que vous avez adoptée le 28 janvier dernier.
Les violences conjugales ça n’est pas que des coups et ça ne commence jamais par les coups.
Nous devons mieux caractériser pour mieux sanctionner ces comportements – les regards, les mots, les interdictions, les humiliations - qui peuvent s’accumuler pour former une relation oppressive et dégradante.
***
Mesdames et Messieurs les Députés,
Oui, cette proposition de résolution est utile.
Pour les victimes qui n’ont jamais parlé.
Pour celles qui ont parlé et n’ont jamais été écoutées et respectées.
Car aucune victime ne doit porter, en plus de ses blessures, le poids du doute, de la culpabilité et de la honte.
Car aucun agresseur ne doit trouver refuge dans l’indifférence ou l’excuse.
Notre société doit ouvrir les yeux.
Regarder en face ce qu’elle refuse encore trop souvent de voir.
Non, une femme isolée, rabaissée, humiliée, contrainte, frappée, violée, tuée, n’est pas un fait divers.
Ce n’est pas une affaire privée.
C’est l’affaire de chaque citoyenne et de chaque citoyen.
C’est l’affaire de la République.
C’est une question de justice.
C’est une question de droits.
C’est une question de liberté.